Dans la combi de Thomas Pesquet, l’album choc de Marion Montaigne qui nous prouve que non, Thomas Pesquet n’a pas fait que prendre des photos quand il était dans l’espace ! Plaidoyer pour la culture spatiale.
Nous avons eu la chance d’interviewer Marion Montaigne lors du festival Quai des Bulles 2017 (comment ça, l’article sort à la bourre ?!!?) au sujet de son album Dans la combi de Thomas Pesquet, paru fin novembre aux éditions Dargaud. Un régal de 200 pages qui raconte avec humour et dérision (cautionnés par Thomas Pesquet lui-même) le recrutement, l’entraînement, le séjour à bord de la Station Spatiale Internationale, l’EVA et le retour sur Terre du plus astringent des astronautes français.
Du professeur Moustache à Thomas Pesquet
Marion Montaigne a vraiment imposé son style dans le domaine de la vulgarisation scientifique avec Tu mourras moins bête…, blog puis BD adaptée en série animée par Arte. Son avatar du Professeur Moustache surpasse dans ce domaine les Stephen Hawking et autres Hubert Reeves par sa pluridisciplinarité, l’utilisation de l’humour trash et le recours fréquent aux cas pratiques tirés de la culture geek. Si le Professeur Moustache vous garantit de mourir moins bête (mais de mourir quand même), vous ne verrez plus Star Wars, Le Seigneur des Anneaux, Scarlett Johansson ou le métier d’Horatio Caine du même œil…
D’ailleurs, petite vidéo de transition :
Alors que le tome 4 et la saison 1 de Tu mourras moins bête… sortent à la rentrée 2015, Marion Montaigne nourrit des rêves de conquête… spatiale :
Marion Montaigne : Professeur Moustache, j’avais l’impression de saouler tout le monde avec ça. En plus je faisais de la promo, je saturais un peu moi-même. Cela faisait plusieurs années que je disais à mon éditrice que je voulais faire un album sur l’espace. Et donc rentrée 2015, je décide de me remettre à niveau, de revoir les gens rencontrés au CNES [car oui, Marion côtoie la communauté scientifique pour fournir des bases solides au Professeur Moustache] et leur demander où cela en est aujourd’hui. Et on me dit « Mais tu sais, il y a Thomas Pesquet qui a mis un commentaire sur ton blog ». Je me suis dit « Ho bah, si mon blog le fait marrer, c’est qu’il doit avoir de l’humour ».
Thomas Pesquet ? Pilote de ligne et ingénieur aéronautique, recruté en 2009 par l’Agence spatiale européenne, qui suit depuis 2010 le programme international d’entraînement des astronautes et qui sait depuis 2014 qu’il va partir à bord de l’ISS pour la mission Proxima ?
Marion Montaigne : Je savais qu’il y avait une promotion d’astronautes, mais c’était très abstrait, il n’était pas encore connu du grand public. Pour moi, c’était quelqu’un d’inaccessible dans le sens où ce sont des gars qui bossent beaucoup, qui ne sont pas forcément en France, qui voyagent, qui vont souvent aux Etats-Unis…
Et pourtant… une invitation et une visite de Thomas Pesquet à l’atelier de Marion Montaigne plus tard, une idée commence à naître : raconter le métier d’astronaute à travers l’aventure de Thomas.
Marion Montaigne : J’en étais vraiment au stade de la réflexion, cela ne s’est pas fait, genre « Hey, je vais faire une BD sur toi ». Nous avons discuté, cela a fait son chemin et la question a surtout été de savoir comment procéder. Donc on s’est mis d’accord là-dessus, il a fait « Non mais je relirai, tu sur-liras, et puis tu pourras poser des questions à Untel et Untel… ». Et puis à un moment, il me dit « Et pour bien faire les choses, il faudrait que tu ailles à Houston et en Russie !« . Bah écoute heu… on va en parler à l’éditeur, hein…
Visiblement l’éditrice accepta.
Marion Montaigne : J’ai fait des déplacements espacés sur plusieurs mois. Je suis allée à Houston en avril, mais la fois suivante, j’ai attendu jusqu’à juillet pour faire un nouveau déplacement. J’y étais l’été où il était remplaçant, et c’était encore plus fun parce qu’on était dans le désert, comme ça, à 7h du mat’, en T-shirt. Entre les deux, c’était un peu bizarre parce que je commençais à faire le brouillon tout en sachant que j’allais apprendre de nouvelles choses, continuer à me documenter. Mais j’essayais quand même de fournir des brouillons à Thomas tant que je l’avais sous la main, avant qu’il ne soit là-haut, pour demander des choses. Donc toute la période où il était en entraînement, j’étais comme un documentariste qui prenait des infos, sur plusieurs mois. Une fois qu’il était là-haut, j’étais presque en temps réel au niveau du brouillon. Je pouvais lui écrire des mails, lui pouvait téléphoner de l’espace. Il l’a fait une fois. C’est impressionnant. Après, ça a été un peu speed : vous regardez le retour en espérant qu’il va bien atterrir. Puis vous finissez vite vite parce que vous devez rendre l’album en septembre alors qu’il a atterri en juin, et que vous n’avez pas fini votre programme.
Marion Montaigne détricote L’Etoffe des héros…
Des vaisseaux qui font du bruit dans l’espace avec Star Wars, en passant par les fresques historiques de L’Etoffe des héros et Apollo 13, jusqu’à la Hard science de Gravity, Interstellar ou Le soldat Ryan en vacances sur Mars, la culture spatiale du grand public a évolué. Mais ce n’est pas encore ça.
Marion Montaigne : J’ai vu Gravity alors que je me documentais. Et quand je me suis dit à certains moments « Ho ! Ce n’est pas possible ! », là je me suis dit que je m’étais trop documentée. J’ai demandé à des astronautes s’ils avaient vu le film. Il y en a plusieurs qui ont crié dans la salle « Fais pas ça ! ». Un astronaute allemand m’a dit « J’ai dû le voir plusieurs fois parce que la première fois j’étais mort de rire ». Mais en même temps, ils disent que c’est quand même un bon film, qu’il ne faut pas trop le casser parce que ça donne quelque chose de plus réaliste.
Afin de nous expliquer pourquoi le métier d’astronaute ne possède pas de code ROME auprès de Pôle Emploi, Marion est donc (re)partie de ce que nous connaissions tous.
Marion Montaigne : Je suis partie de l’image d’Epinal que j’avais des astronautes, et j’ai essayé de la détricoter : qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui n’est pas vrai, qu’est-ce qui a changé ? J’ai fait un parallèle avec les gars de L’Etoffe des héros parce que c’est comme ça que je les imaginais. Je n’ai que cette référence, en fait, comme beaucoup de gens de ma génération, je pense. C’était toute une époque, en pleine Guerre froide, on envoyait des gars tout seul dans leur capsule et c’était l’affaire d’une journée. Maintenant, on a des gars qui doivent être sociaux, qui vont pouvoir rester six mois enfermés ensemble sans se taper dessus. Ils prennent des gens qui doivent être hyper polyvalents et hyper patients pour faire toutes les recherches qu’on leur demande. Mais je crois que les astronautes ont encore cette étoffe, que ce sont des gens très compétitifs, qui aiment les défis et qui sont sélectionnés pour ça. Il faut aussi considérer que c’est un métier où ils ne sont pas nombreux. Qui va repartir ? Celui qui a le mieux bossé. Ce n’est pas compliqué, si vous foirez votre mission, « Bon bah on va prendre l’Américain plutôt que toi, t’as perdu une clé à molette dans l’espace, donc bon… ».
Marion s’engage ainsi à nous dévoiler tout l’univers des astronautes. Et si elle égratigne au passage leur prestance héroïque et se moque gentiment d’eux, c’est avant tout pour les rendre plus humains. Mais que pouvait bien en dire Thomas Pesquet lors de la relecture ?
Marion Montaigne : Je crois que ça le faisait marrer. Il m’avait même dit « Vas-y, tu peux te foutre encore plus de nous, les astronautes ». Toute la presse a dit que c’était le gendre idéal, le héros, le mec infaillible et parfait. Ils en ont fait une machine de guerre. Des fois ça devait être dur et le saouler d’être le gars idéal… Alors que derrière, c’est quelqu’un qui a de l’humour, qui fait des blagues, c’est… non mais je ne peux pas dire ça, ce n’est pas un gars normal ! Il est normal. Non il n’est pas normal. Mais après il est comme tout le monde, il aime être en pantoufles… Mais comme on veut tellement que les astronautes soient parfaits, qu’il ne faut pas qu’à un seul moment ils fassent les cons, sinon cela veut dire qu’ils utilisent très mal l’argent du contribuable alors que nous tous, on est les premiers à déconner à la machine à café, à se jeter des boulettes ou des trucs comme ça… Je pense que Thomas voulait aussi montrer autre chose que l’image d’Epinal, la combinaison, la centrifugeuse, les aspects héroïques, alors qu’ils ont des entrainements très rébarbatifs. Ils ont passé beaucoup plus d’heures assis à des bureaux ou dans des salles de classe à potasser comme des étudiants des tonnes et des tonnes de procédures. Vous avez une vidéo comme ça et que j’aime bien, filmée par son collègue danois Andreas Mogensen à la Cité des Etoiles. Il entre dans les appartements, et ils sont tous en train de potasser avec des piles de dossier, devant leur ordinateur. Et après Thomas et lui se mettent ensemble, sortent des piles de manuels qu’ils doivent apprendre par cœur, et qui ne concernent que les manuels de sécurité du Soyouz [les taxis Terre-ISS], qui ne concernent même pas encore la station spatiale. Mais ça on ne le montre pas. Quand les caméras viennent, elles veulent de la combinaison, elles veulent que les gars soient dans leur simulateur. Et les gars font « Oui, mais ce n’est pas que ça, j’ai passé un an à apprendre le russe, le week-end à réviser mes déclinaisons, à faire des calculs d’orbitographie, de la trigo puissance 12… ». Mais ça on ne le montre pas, parce que c’est moins sexy…
… pour réajuster la combi de Thomas Pesquet.
L’outrance cinématographique et le spectaculaire des médias nous ont fait oublier que la réalité peut être tout aussi exceptionnelle. Ils ont banalisé l’aventure spatiale alors qu’il s’agit d’une prouesse en soi : une station scientifique assemblée en orbite flotte depuis 20 ans au-dessus de nos têtes, des équipes d’astronautes confinées six mois en impesanteur s’y relaient en permanence, et dehors, l’espace tue.
Marion Montaigne : J’ai fait une corrélation dans la BD : imaginez que vous êtes enfermés au boulot 24h/24 avec des collègues que vous n’avez pas choisis, et que vous ne pouvez pas sortir. Vous ne pouvez pas aller boire l’apéro avec des potes, aller au cinéma, faire du sport, aller crier sous la pluie, vous défouler. Vous ne pouvez pas ouvrir cette fenêtre qui n’a pas été ouverte depuis vingt ans, vous ne pouvez pas aérer. Il parait que c’est assez bizarre, commencer tous les matins sans variations, c’est-à-dire sans vent, sans pluie, sans sentir une bruine, tous les matins pareils. Et vous travaillez. (…) Ils apprennent à gérer les conflits, aussi. Forcément ils sont humains, c’est juste que ça se passera mieux si vous envoyez un Thomas Pesquet plutôt qu’une Marion Montaigne, qui va pleurer ou qui va ouvrir une porte, ou qui va s’engueuler avec tout le monde. Les gens au sol sont aussi là pour faire tampon. Dans son livre Packing for Mars, Mary Roach explique que quand vous n’êtes pas bien là-haut, soit vous vous en prenez à vous-même, soit vous vous en prenez aux autres. Ils préfèrent que ce soit le gars au sol qui se fasse engueuler.
Imaginez donc le niveau des tests psychotechniques, psychologiques et médicaux qui ont dû être conçus pour retenir, parmi 8 413 candidats, les six aspirants astronautes aptes à y monter ; l’exigence de leur préparation technique, physique et mentale pour que seuls là-haut, ils puissent aussi bien réparer la plomberie qu’intervenir sur une dépressurisation ; le mental incroyable et l’astringence qu’exige un séjour dans l’ISS consacré à la recherche scientifique…
Tout cela, Dans la combi de Thomas Pesquet nous le fait découvrir de manière vivante et surtout très drôle. Tout repose sur le décalage entre un récitatif riche en informations et un dessin expressif le mettant en scène avec un humour décomplexé : extrapolations extrêmes, exemples absurdes (la space-friteuse avec laquelle Matt Damon pourra enfin faire cuire ses patates sur Mars, pour nous expliquer le principe des expériences embarquées à bord de l’ISS et les enjeux de la recherche fondamentale en impesanteur), anecdotes et situations comiques (comment réapprendre les gestes du quotidien en impesanteur, manger, dormir, se laver, stocker les déchets… et surtout évacuer une bonne fois pour toute la question des toilettes), running gags (oui, parce que vous avez bien conscience que la notion d’astronaute astringent ne veut rien dire ?)… Tout est fait pour relier les zygomatiques aux neurones.
Marion Montaigne : Tout ce que j’ai appris, j’ai essayé de le montrer dans cette BD, j’espère que j’ai réussi. Et encore, j’ai l’impression de n’en avoir mis que 50%. Il y a des choses dont j’avais beaucoup envie de parler, les blagues d’étudiants que les astronautes se font entre eux durant leur entraînement, etc. Il y a des journées où je réalisais « Non mais attends, cela fait deux heures que tu es sur le site de la NASA à lire comment on a créé un filtre EPA contre les virus ! ». Il fallait que j’y aille mollo parce que j’en étais même à lire l’histoire du boulon, du truc…
Tout ce qui monte finit par descendre. Et c’est tant mieux.
Au final, ce seront les photos de Thomas Pesquet prises depuis l’ISS dont l’album parlera le moins.
Marion Montaigne : C’est drôle, les photos de Thomas depuis l’espace, c’est vraiment ce qui a marqué les gens. Alors qu’il n’a pas fait que ça. En fait, ils ont bossé comme des chiens, fait énormément de recherche, de mises en place d’expériences. Mais je pense que c’est un des loisirs qui lui a le plus plu. Je crois qu’il en faisait des centaines le week-end et qu’il les envoyait dans la tuyauterie le dimanche. Ce qui est drôle c’est que des fois vous aviez des photos qui étaient postés en semaine sur Instagram et moi, comme je travaillais, je mettais la caméra en live de la station spatiale ; et tandis qu’il y avait de la vie sur les réseaux sociaux, Thomas, lui, il bossait, je le voyais en train de se battre avec des machines, avec des tubes… Comme la station fait seize fois le tour de la Terre en 24 heures, il y avait également l’illusion que ses photos étaient prises en « temps réel », alors que pour lui, une photo de nuit pouvait être prise sur sa pause entre midi et deux, ou qu’une photo de jour, prise sur son temps de repos le soir…
Ses photos nous ont fait redécouvrir la beauté et la fragilité de notre bonne vieille bleue, et ont incité des millions d’internautes à suivre le périple de l’ISS. Pourtant, la France n’entretient pas le même rapport à l’espace que les Etats-Unis ou la Russie. Le premier pas sur la Lune et Youri Gagarine y sont objets de fiertés nationales, et la course aux étoiles est profondément ancrée dans leur histoire respective. Ici, il aura fallu attendre Thomas Pesquet pour susciter l’engouement du public.
Marion Montaigne : Le truc que je n’avais pas anticipé, c’est qu’il serait méga-connu. Au début, Pesquet ça ne disait rien. A partir de novembre 2016, même les enfants de 4 ans qui écoutaient la conversation connaissaient Thomas. Ça a été assez impressionnant à ce moment-là.
Et pendant que là-haut, des astronautes bossent pour la science (et c’est leur joie), l’aventure de Thomas Pesquet nous a permis de nous approprier un petit bout d’espace. Et Marion Montaigne, de comprendre son aventure.
Avant de nous séparer, nous avons demandé à Marion ce qui l’avait le plus marquée lors de la genèse de son album.
Marion Montaigne : Moi, ce qui m’a sciée, c’est qu’un astronaute soit aussi cool qu’un auteur de BD. Si vous m’aviez dit il y a trois ans que je connaîtrais une telle aventure… non tout est impressionnant, tout est mythique. Quand vous allez à la NASA, c’est la « putain de NASA », quoi !
Ce que j’aime bien, c’est le Soyouz. J’ai plus une obsession pour la capsule Soyouz que pour la station spatiale. J’ai rêvé Soyouz. Parce que je pense que là, les astronautes sont très très seuls : c’est comme s’ils étaient coincés dans un combi Volkswagen pendant 48 heures, c’est une phase où ils sont très fragiles et après laquelle ils sont rassurés d’arriver à la station spatiale. Mais là, dans le Soyouz, c’est la vraie solitude…
Le décollage ! Si, j’ai assisté à un décollage, c’est un truc de malade ! Ho c’est incroyable, c’est beau ! Votre cerveau en a vu à la télé, il sait comment ça se passe, mais quand vous le voyez en vrai, vous vous dites que ce n’est pas possible, qu’il y a des gens dedans que vous avez vu hier, et qui disparaissent dans le ciel, et ils quittent notre monde, ils vont ailleurs, dans un monde hyper hostile où ils devraient mourir, mais ils vont revenir. Et c’est d’une propreté… cela pèse des tonnes, cela fait la taille d’un petit immeuble, et cela décolle, et il y a des gens dedans ! Et j’ai sa femme derrière moi, et j’ai son enfant et j’ai des parents à côté de moi qui regardent cela ! Et là cela devient réel, on a l’impression de dire au revoir à des gens qui partent dans un voyage étrange… et vous pleurez…
Marion Montaigne, Dans la combi de Thomas Pesquet, éd. Dargaud – 22,50€
Les photos de Thomas Pesquet viennent également d’être publiées en beau livre :
Thomas Pesquet, Terre(s), éd. Michel Lafon – 39,95€
[…] Cover of Dans la combi de Thomas Pesquet […]