La sixième édition de Pendragon vient de paraître (en V.O), marquant la fin d’une ère et le début d’un nouvel héritage. En tant que joueur de la première heure, ayant parcouru les terres de Bretagne depuis la v2 traduite chez Gallimard en 1986, j’ai plongé dans cette ultime vision de Greg Stafford avec un mélange de nostalgie et de curiosité.
Cette édition posthume, fruit de plus d’une décennie de travail du créateur, promet-elle de raviver la flamme de la Table Ronde ou n’est-elle qu’un adieu mélancolique ? Découvrons ensemble ce que cette nouvelle mouture apporte aux chevaliers d’hier et d’aujourd’hui…L'essence de Pendragon : Un héritage chevaleresque
Pendragon, le jeu de rôle créé par Greg Stafford, plonge les joueurs dans l’Angleterre mythique du roi Arthur depuis 1985.
La sixième édition, publiée à titre posthume, représente l’ultime vision de son créateur pour ce jeu emblématique. Je joue à Pendragon depuis la première version française sortie en 1986 (la V2 américaine). De ma modeste expérience mais avec en gros deux-cent parties en tant que meneur entre 1987 et 1998, je peux affirmer que l’essence du jeu reste intacte. L’univers de Pendragon se situe dans une Grande-Bretagne du Ve siècle, où la magie et les créatures fantastiques côtoient les réalités semi-historiques de l’époque. Le jeu conserve son focus unique sur les chevaliers, permettant une immersion profonde dans les valeurs et les codes de la chevalerie arthurienne.
Pendragon c'est aussi la vertu du temps long
Le game-design de Pendragon se démarque dans l’univers du jeu de rôle par son approche du temps long, une caractéristique qui en fait une expérience véritablement unique.
Le jeu ne se contente pas de suivre un chevalier à travers ses aventures, mais retrace l’histoire d’une lignée entière. Votre personnage vieillit, se marie, forge des alliances, et finalement meurt, laissant son héritage à son fils qui reprendra les amitiés et les inimitiés familiales.
Cette dimension temporelle apporte une profondeur rare au jeu. Au-delà de la quête de gloire et d’aventure, Pendragon est aussi un jeu d’amour, de vertu et de passion.
Le concept de « Fine Amor« , l’amour courtois, y occupe une place centrale, ajoutant une dimension romantique et chevaleresque aux intrigues.
Une autre particularité liée à cette gestion du temps long est le rythme unique des aventures. Typiquement, une aventure équivaut à une année entière dans la vie du personnage. Les blessures prennent du temps à guérir, reflétant une approche plus réaliste des conséquences du combat. L’hiver devient une période cruciale où les chevaliers prennent des nouvelles du monde, valorisent leur gloire accumulée et s’adonnent à courtiser et les Dames et leurs familles. Cette structure permet une immersion profonde dans la vie d’un chevalier, bien au-delà des simples quêtes et batailles.
Les traits et passions : L'âme inchangée du système
Le cœur du système de jeu, à savoir les traits et les passions, demeure intact dans cette sixième édition. Ces mécaniques, qui ont toujours donné vie aux personnages en leur conférant une personnalité complexe et évolutive, sont préservées. Les traits, organisés en paires opposées comme Chaste/Luxurieux ou Miséricordieux/Cruel, continuent d’influencer les actions du personnage et d’évoluer au fil des aventures.
Les passions donnent la boussole et les motivations profondes du chevalier. L’honneur, l’amour suzerain, filial ou tout court guident les actions du personnage et l’inspirent à accomplir des exploits héroïques. Ces passions, qu’elles soient dirigées vers un seigneur, un parent, un amour romantique ou un idéal chevaleresque, forment le cœur émotionnel du personnage et influencent profondément ses décisions et ses actes.
Il est important de noter que ces éléments, traits et passions, ont joué un rôle pionnier dans l’apprentissage du roleplay pour les joueurs de jeu de rôle à l’époque de leur introduction (1985 pour rappel). Bien que leur utilité pédagogique soit moins cruciale aujourd’hui, ce game-design reste un formidable outil pour donner, en quelques chiffres, une feuille de route d’interprétation. Ils offrent un cadre clair et concis pour guider le rôliste, tout en laissant une marge de liberté pour l’interprétation personnelle du joueur.
Un système de jeu quasi inchangé
Le système de jeu de Pendragon est à la fois simple et élégant, reposant sur l’utilisation d’un dé à 20 faces (1D20).
Aperçu sommaire de son fonctionnement : Pour réussir une action, le joueur doit obtenir un résultat inférieur ou égal à la valeur de la compétence concernée. Par exemple, si un chevalier a une compétence d’Épée à 15, il doit obtenir 15 ou moins sur son jet de dé pour réussir l’action.
Le système intègre également des règles pour les réussites et les échecs critiques :
- Réussite critique : Si le joueur obtient exactement le chiffre correspondant à la valeur de sa compétence, c’est une réussite critique. Cela représente une performance exceptionnelle, souvent accompagnée d’effets bénéfiques supplémentaires.
- Échec critique : Un résultat de 20 sur le dé est toujours considéré comme un échec critique, quelle que soit la valeur de la compétence. Cela symbolise une erreur grave ou un coup du sort particulièrement malheureux.
Cette mécanique classique dérivée du système chaosium permet de créer des moments de tension et de surprise lors des jets de dés, tout en reflétant fidèlement les capacités des personnages. Elle encourage également les joueurs à développer stratégiquement les compétences de leurs chevaliers, sachant que chaque point supplémentaire augmente non seulement les chances de réussite, mais aussi celles d’obtenir une réussite critique.
Une particularité intéressante de Pendragon réside dans l’évolution des personnages au fil du temps. Les joueurs débutent généralement avec des statistiques relativement faibles, à l’exception des compétences martiales qui sont le point fort initial des jeunes chevaliers. Cependant, après une dizaine d’années d’aventures sur les routes du royaume de Logres, les compétences non martiales prennent une importance cruciale.
Les compétences, souvent négligées au début, deviennent essentielles pour assurer une gloire durable, forger de bonnes alliances, gérer efficacement un fief et transmettre un héritage positif à sa descendance. Les joueurs réalisent rapidement que la vie d’un chevalier ne se résume pas uniquement aux combats et aux quêtes, mais englobe aussi la diplomatie, la gestion des terres, et la navigation dans les complexités de la société féodale.
Cette évolution reflète le passage du jeune chevalier impétueux à celui de seigneur mature. Elle encourage les joueurs à développer leurs personnages de manière équilibrée, en pensant à long terme. L’objectif n’est plus seulement de survivre à la prochaine bataille, mais de bâtir un héritage durable et de laisser à sa descendance autre chose qu’une longue liste d’ennemis revanchards. Cette approche ajoute une profondeur supplémentaire au jeu, transformant Pendragon en une expérience qui va bien au-delà du simple jeu de rôle d’aventure pour devenir une véritable saga familiale à travers les générations.
La place des femmes chevaliers : Une évolution notable
L’une des modifications majeures de cette sixième édition concerne la place des femmes chevaliers dans l’univers de jeu. Alors que les précédentes versions considéraient les femmes chevaliers comme des cas rares et exceptionnels, cette nouvelle édition les présente comme une composante ordinaire de la société arthurienne.
Ce changement reflète une volonté d’inclusivité et d’ouverture, permettant à toutes les joueuses et joueurs de s’identifier plus facilement à leur personnage. Il offre également de nouvelles perspectives narratives, enrichissant ainsi l’expérience de jeu.
Mise en page et design graphique : Un mélange de réussites et de faux pas
La nouvelle version de Pendragon couchée sur du beau papier présente une mise en page globalement réussie, avec un effort notable pour la lisibilité et la clarté. Les textes sont bien structurés, avec une mise en relief efficace des éléments importants et des exemples bien intégrés qui facilitent la compréhension des règles. Cependant, l’utilisation de lignes de repère quadrillant les pages est un choix discutable, donnant par endroits un aspect de tableur qui nuit à l’esthétique générale et à l’immersion dans l’univers médiéval-fantastique du jeu.
Côté illustrations, le résultat est mitigé. On trouve à la fois des œuvres excellentes et d’autres plus passables, créant un manque de cohérence graphique regrettable. Pas moins de six styles artistiques différents sont identifiables, certains s’accordant harmonieusement tandis que d’autres semblent en décalage avec l’ambiance générale. Cette diversité, bien qu’elle puisse apporter une certaine richesse visuelle, peut aussi dérouter et nuit à l’unité esthétique de l’ouvrage.
La couverture mérite une mention spéciale. L’édition standard arbore une illustration passe partout peu inspirée, mais l’édition collector se démarque nettement. Sa couverture bleue, au toucher évoquant un livre ancien, est sublimée par des lettrages et des enluminures d’une grande élégance. Ce choix esthétique pour l’édition collector offre une expérience tactile et visuelle particulièrement satisfaisante.
Un adieu digne du Roi Stafford
En tant que joueur de Pendragon de longue date, je peux affirmer que cette sixième édition reste fondamentalement fidèle à l’esprit original du plus passionnant des jeux de rôles. Les modifications apportées sont subtiles et ne dénaturent pas l’expérience de jeu que nous connaissons depuis des décennies.
Cette édition peut être considérée comme un hommage touchant à Greg Stafford, décédé en 2018. Elle représente sa vision finale du jeu, consolidant des années de réflexion et d’évolution. Pour les collectionneurs et les fans de l’œuvre de Stafford, cette édition constitue une pièce importante de l’héritage du jeu.
La version Pendragon V6 offre une expérience de jeu raffinée et mature, tout en restant fidèle à ses racines. Elle n’apporte pas de révolution majeure par rapport aux versions précédentes, mais elle représente l’aboutissement d’une vision.
Pour ceux d’entre nous qui ont grandi avec Pendragon, cette édition sera à la fois familière et rafraîchissante. Elle honore l’héritage de Stafford tout en ouvrant la porte à une nouvelle génération de joueurs. C’est un adieu digne du Roi Stafford, nous laissant un jeu qui continuera à inspirer et à captiver les joueurs pour les années à venir.
Article et illustrations par Fletch
Ps : le lien vers la page Pendragon de Chaosium, dans quelque temps le Studio Deadcrows publiera en français le Kit de démarrage qui est pas mal du tout (un livre solo, un feuillet de résumé de règle, deux scénarios dirigistes, un scénario moins dirigiste, des dés et des pré-tirés).
Les illustrations de cet article n’appartiennent pas au livre de Pendragon V6, elles sont mon hommage à Greg Stafford qui m’a donné beaucoup à rêver et à aimer dans mes jeunes années rôlistes.