Comme tous les rôlistes, nos chroniqueurs aiment le poulpe et son univers horrifique. Nous aimons également le Japon pour ses mystères et son histoire. Un projet de jdr fusionnant les deux univers ne pouvait que nous intéresser. Et hop, un crowchet plus tard, nous voilà de retour avec quelques réponses à nos interrogations…
Interview JDR : CTHULHU NO KAMI
Bonjour à toute l’équipe des auteurs/illustrateurs qui contribuent au projet Cthulhu No Kami. J’ai amené un peu de graines pour oiseaux… mais je ne suis pas certain que cela plaise à vos systèmes digestifs de volatiles non-vivants… Hem, je m’égare commençons :
Le Japon est dépaysant par essence pour un lecteur occidental, ici vous nous proposez des Japons à différentes époques. Comment allez-vous rendre vivantes ces réalités pour les joueurs, est-ce que vous allez faire de la vulgarisation historique pour les MJs ?
Raph: Le Japon est un pays singulier par sa culture et son appréhension du surnaturel. En effet le shintoïsme fait que le “paranormal” est omniprésent dans le quotidien des Japonais.
Pour les Joueurs, nous avons créé la mécanique du Karma de groupe. En effet au cours de leur action pendant leur aventure, le MJ leur indique par des jetons si leurs actions sont en accord avec la société et la mentalité japonaise ou pas. S’ils respectent leurs “obligations”, il gagnent des points de Giri, inversement ils gagnent des points de Haji (“honte”). 7 points de Giri font gagner 1 point de Ki à tout le groupe et inversement avec 4 points de Haji. Le Ki est un modificateur qui s’ajoute à leur test de Résistance mentale (une sorte de bouclier mental en quelque sorte). Cette mécanique visuelle n’enclave en rien les joueurs dans leur manière de jouer leur personnage et restitue plutôt bien le principe de groupe inculqué dans la société Niponne.
Concernant le côté MJ, Cthulhu No Kami est avant tout un jeu. De ce fait, on ne voulait pas en faire un livre trop académique. Le projet nous a demandé 5 ans de travail et de recherche et le plus dur a été de faire des choix. De ce fait, dans le livre du Héros nous présentons le Japon sous tous ses aspects, dans le livre du Sensei les secrets de l’univers de Cthulhu No Kami. Chaque settings permet d’approfondir les ères de jeu tout en pouvant avoir une prise en main rapide.
Combien de personnes sont dédiées au projet Cthulhu No Kami ?
Raph: Avec Alicia on est à l’initiative du projet. On a rapidement été rejoint par Benjamin Ott. Puis on s’est entouré de personnes supplémentaires pour écrire comme Guillaume Dequeker (pour les stats, règles, etc.), Christophe Rosati pour les nouvelles d’ambiance, Shendor pour une annexe pour jouer un Hybride profond en option de jeu, Eric Dubourg (pour des textes additionnels) et Benjamin Diebling (pour des scénarios).
Niveau illustration, le Directeur artistique est Kahouet. Il est secondé par Maxime Teppe et Maintenant Vincent Laik grâce aux paliers débloqués. On travaille tous ensemble en étroite collaboration. D’ailleurs je remercie Stephan et François d’avoir cru en ce projet et de faire qu’il puisse voir le jour.
Stephan : Nous pouvons rajouter François Cedelle, le directeur éditorial de la gamme, qui est aussi en charge des visuels de la page de financement.
Antoine pour les animations et démonstrations.
Moi (Stephan), préparation des paliers, cout, production, communication.
C’est toute une équipe qui oeuvre autour du projet pour le faire vivre et connaitre.
Le film Mononoké de Myazaki, c’est un précurseur de Cthulhu no Kami ?
Raph: Alors oui et non… L’imaginaire de Myazaki est incontournable quand on parle de Japon. On fait référence à lui et son oeuvre en hommage.
Après l’ère de jeu qui pourrait être le plus proche est Heian sans aucun doute.
Bon encore un lancement de campagne qui décolle en fusée (457% financé à 26 jours de la fin), c’est quoi la recette Deadcrows ?
Stephan : La présence sur les conventions qui est capital pour expliquer et faire connaitre le projet, mais aussi avoir les retours des passionnés et en tenir compte.
Le projet en lui-même. Nous essayons d’apporter quelques choses aux joueurs et joueuses et pas simplement un copié/collé ou une traduction sans création.
Notre engagement pour respecter les délais annoncés.
Communication et transparence, répondre de façons claire et honnête, sur nos difficultés et nos erreurs.
Ne pas oublier les boutiques, qui sont des acteurs importants et capitaux de notre passion.
L’équipe, que ce soit les auteurs, les illustrateurs, les animateurs, les traducteurs, les maquettistes, les correcteurs, etc. Tout ce beau monde fait aussi le sel de notre travail et passion.
Et sans oublié quelques choses d’important et que je répète souvent :
“Nous sommes jugés par ce que nous faisons, et pas ce que nous disons.” Cela résume bien notre état d’esprit. 🙂
OK vous commencez à maintenant avoir une belle renommée en tant qu’éditeur en France, c’est dans vos projets d’étendre vos joueurs/lecteurs au monde anglophone ?
Stephan : C’est chose faite avec Capharnaüm édité par Mindjammer press 😉 Sinon, oui nous avons cette ambition, mais, avant cela, il nous reste beaucoup de travail. C’est un autre marché, des habitudes différentes et il faut être sur place pour présenter et faire connaitre nos projets. Cela veut dire constituer une équipe, des partenaires, un réseau de distribution, etc. Cela prend du temps. Une chose après l’autre ;).
Des jeux de rôles récents développent des bandes-son personnalisées, des pistes dans le domaine ? Des b.o à conseiller pour Cthulhu no Kami ?
Raph: Alors personnellement, j’utilise celle de Mémoire d’une Geisha, des animés XXX Holic, la fille des Enfers et celle de Shin sekai Yori.
Les B.O des Studio Ghibli peuvent être utilisée tout comme celle de Ju On, Ring, dark Water, sinister, insidious et autre Conjuring
Vous l’avez certainement remarqué dans notre chronique sur les KS d’octobre, l’un de nos membres c’est écrié “Depuis que Cthulhu est tombé dans le domaine public, on nous ressert du poulpe à toutes les sauces”. Quelle approche du mythe avez-vous développé et en quoi amène-t-elle des embruns nouveaux ?
Raph: J’ai même lu sur des forum… “Voilà du Cthulhu à la sauce soja”. Je peux comprendre cette réaction. Depuis que Lovecraft est tombé dans le domaine public, les avatars de Call of Cthulhu deviennent légion.
Cthulhu no Kami est un jeu qui a demandé 5 ans de travail et un peu plus en amont, car Alicia a répertorié tout ce que Lovecraft avait écrit (ça coûte cher en post it d’ailleurs) et j’ai contacté Chaosium pour savoir ce qu’on pouvait faire ou pas, même concernant les références à leurs oeuvres par exemple.
Ici, on propose une vision et une approche totalement différente. Il n’est pas question d’année 20, d’investigateurs américains, voire européens, ou des expéditions Miskatonic. Ici le PNJ majeur est le Japon et son approche du Mythe du maitre de Providence. On retrouve des créatures du Mythe, mais pas comme nous les connaissons, car elles ont évolué différemment sur l’archipel ou à son contact. Et on a traité de la liaison du Mythe et du Folklore. Pourquoi y a t il tant d’entité au Japon? Cthulhu No Kami vous donnera une reponse… mais ceci est dans les secrets de son univers.
L’horreur japonaise est un genre très marqué. L’horreur lovecraftienne également. Quel subtil cocktail allez-vous nous servir ?
Raph: Tout à fait. D’ailleurs dans le livre du Sensei (MJ), on a fait une section sur les codes de l’horreur japonaise pour que les MJ puissent les utiliser dans leur mise en scène. Chacune de ses horreurs est marquée, mais elles ne sont pas incompatibles pour autant, bien au contraire. Il y’a une liaison étroite entre l’inéluctabilité subie chez les protagonistes du Maitre de Providence et celle voulue par les codes de la société japonaise. Et comme on me le dit souvent après une partie, “je n’ai pas fini fou ou mort”.
Vous présentez des settings très variés, est-ce qu’il y a aura un ordre à respecter pour les jouer ? Une campagne fil rouge pour les lier ?
Raph: Il y’a une chronologie de l’Impi dans Cthulhu No Kami qui va de la création de l’univers jusqu’à 2019. En fait plus loin même, car on a même posé des jalons à un settings 2119. Ce settings futuriste n’est pas écrit, mais nous a permis de visualiser et conceptualiser ce que devenaient les cultes à l’ère moderne et le changement d’ère avec l’abdication de l’empereur.
Cependant les settings peuvent être joués indépendamment et de manière isolée selon l’affinité de chacun.
On a en tête avec Alicia et Benjamin une grosse campagne qui se déroulera sur des siècles et non à travers le monde comme les Masques de Nyarlathotep de chez Chaosium par exemple.
En regardant les settings de plus près, on s’aperçoit que deux de ceux-ci (époque Heian et Showa) sont des périodes un peu moins connus et donc moins jouées que les autres dans les jdrs traitants des univers japonais. C’était une volonté de les faire découvrir ? Et pourquoi ne pas remonter plus loin, comme à la fin Yayoi où les mythes fondateurs du Japon et la réalité se confondent ou durant la période Kamakura, sur fond d’invasion Mongole ?
Raph: On trouvait pertinent de les mettre pour leur spécificité propre.
Heian a très peu de sources historiques et les mythes et légendes se confondent entre personnages réels et fictifs. C’est la période où les premiers kaidan sont écrits et/ou le fantastique et la magie ont une place prépondérante avec le bureau de l’onmyodo. Ce dernier régissait la vie de la cour de Heian kyo (Kyoto) par ces prédictions, prémonitions, signes, exorcismes, purification, etc.
Pour Showa, on a opté pour la première période jusqu’à l’entrée en guerre dans le Pacifique de 1942. Il traite de la montée du militarisme, du totalitarisme impérial, de la censure, et de la dérive d’une société qui a amené à certaines atrocités comme celle de l’unité 731. Ici, l’intérêt est de confronter horreur humaine et horreur cosmique et surtout de ne pas excuser l’homme de ses actes. Dans ce cadre de jeu, le mythe devient plus un outil pour l’homme pour gagner en pouvoir.
Le bestiaire mythologique japonais est déjà bien fourni avec les yôkai. Sont-ils présents dans Cthulhu no Kami ou sont-ils indépendants du mythe ?
Raph: Il est difficile de faire un bestiaire folklorique avec des millions d’entités. Cependant, nous avons écrit un très gros bestiaire qui ne peut figurer dans le livre du sensei faute de place. Du coup on a choisi les plus pertinentes. De plus on a créé des entités originales pour le mythe et revisité les plus connus de Lovecraft. Actuellement, il y’a plusieurs dizaines de yokai et plusieurs dizaines de créatures du mythe dans le livre du sensei. Les deux bestiaires sont dissociés pour de simples questions de classification. Cependant là aussi, les deux sont liés, l’un n’est que la partie visible de l’iceberg.
Avec ce qu’on a écrit actuellement on encore largement de quoi faire un livre bestiaire folklorique et mythe à part entière.
Pourquoi le système de jeu de Chroniques Oubliées et quels éléments de game design allez-vous utiliser (horror, pulp, leveling progressif ou prétiré)?
Raph: Le CO est un système simple, intuitif, dynamique, permettant un accès aisé à l’initiation tout en ne dépaysant pas les rôlistes aguerris. Nous avons essayé de prendre en compte les retours de CO Cthulhu pour développer l’épouvante, la folie (avec des pathologies spécifiques au Japon), l’équilibre mental (avec la caractéristique Volonté), l’étude des sources occultes et l’investigation au sens large.
En tout cas, nous on adore et on pense qu’en termes de gameplay et d’ambiance de jeu ce système correspond parfaitement à Cthulhu no Kami (avec quelques aménagements pour coller à l’ambiance du jeu).
Nous avons :
- Créé et adapté des voies par pour coller le plus possible aux profils proposés dans une version inédite. Cthulhu no Kami est avant tout un jeu d’ambiance et d’investigation, cependant nous n’avons pas oublié le coté épique que peuvent revêtir certains personnages (Samourai) ou mystique et magiques comme les Onmyoji et autres chasseurs de Yokai.
- Introduit le Ki : Le Ki représente en quelque sorte une « résistance psychique ». Ce modificateur à la Résistance mentale évolue en cours de partie selon les actions des Eiyû.
- Développer le Karma du groupe : Cette jauge dont la gestion appartient au Sensei permet de gérer avec des points de Giri (obligations) et de Haji (honte), les actions et comportements des Eiyû. Il est ainsi possible de gagner un à plusieurs points de Giri/Haji selon les situations. Dès qu’un certain nombre de points sont collectés dans une des deux catégories, le groupe de Eiyû gagne ou perd 1 point de Ki. Cette balance a aussi un impact sur l’environnement et les entités rencontrées.
· Trait Mythos : désignant la perception du Mythe et sa connaissance. Il peut s’acquérir selon les évènements rencontrés.
Les ancêtres ont une place prépondérante dans la culture japonaise, peut-on imaginer un croisement du monde des rêves et celui des esprits ?
Raph: La réponse est en fait dans votre question. Les plans se superposent et la frontière entre les mondes est plus ou moins fine selon les lieux et les moments. De ce fait, les esprits et yokai. Et pourquoi pas imaginer, un jour un contexte abordant plus en détail le monde des esprits et autres Yokai…
Il y a une grande attente de vos soutiens qui participent aux financements, comment gérez-vous les retours de la communauté ?
Raph: Déjà, je remercie encore tous les soutiens et les pledgers du jeu. S’il bénéficie du contenu augmenté par les paliers c’est grâce à eux. Du coup la gamme prend la forme qu’on espérait. Deadcrows sait être à l’écoute de la communauté holiste et rebondir sur leurs propositions pour s’adapter à la demande. On est fier de pouvoir collaborer avec eux sur ce projet et d’être soutenu depuis le début de la création du projet. Ils nous permettent de suivre le projet au-delà de l’écriture.
Des nouvelles sur les autres projets en cours chez Studio Deadcrows ?
Stephan : Oui, nous pouvons en toucher deux mots 🙂
Nautilus : Tout se passe bien. Nous avons reçu l’illustration de l’écran de Mr Graffet et les textes partent en relecture d’ici peu. Tout est OK pour les délais et la qualité !
RuneQuest : Tout se passe bien également. Le livre de base est en relecture, le kit de la meneuse traduit, le bestiaire sera fini ce mois-ci. En novembre, les traducteurs attaquent le sourcebook. Pour la création française qui sera implantée dans le livre de base, le bestiaire et le kit de la meneuse sont finis. Les illustrations ont commencé à arriver.
La Chute de Delta Green : nous attendons avec impatience le retour des ayants droit.
On vous laisse le mot de la fin …
Raph: Il est difficile de se dire que Cthulhu No Kami va bientôt vivre en dehors de nos tables. J’espère qu’il apportera autant de plaisir que ce qu’on a eu à l’écrire, car avant tout ce projet reste une belle aventure humaine avec de belles rencontres et des “bonnes gens”.
Les corbeaux morts sont repartis leurs réponses nous restent. C’est un beau projet qu’on soutient sans réserve (au moins deux pledges complets chez nos chroniqueurs… dans un mois de novembre très riche en KS).
Cthulhu No Kami est disponible en financement participatif jusqu’au 5 novembre 2019. https://www.gameontabletop.com/cf227/cthulhu-no-kami.html
Livraison estimée du projet : Hiver 2020
PS: retrouvez toutes nos interview JDR dans la nouvelle rubrique dédiée.