Ynn Pryddein, c’est un jeu de rôles mêlant mythes et histoires. On est très enthousiaste, il fallait que la communauté en sache plus et faire connaitre le projet pour les autres… Dans ce JDR on navigue sous des influences diverses (haut Moyen Âge, celtiques, nordiques, romaines et méditerranéennes) mais orchestrées avec cohérence.
Interview JDR : Ynn Pryddein et son auteur Hervé Bourgade
Dernier projet en date des éditions Posidonia, éditeur associatif qui centralise un foisonnement d’univers à jouer originaux. Ynn Pryddein est en cours de financement participatif sur la plate-forme gameon tabletop. Hervé Bourgade l’auteur des textes a pris le temps de nous partager sa passion et de nous en apprendre plus sur ce projet pas comme les autres …
Préparez-vous c’est une interview fleuve qui vous emmènera par de là les feux de Beltaine…
À l’origine, qu’est-ce qui a déclenché l’idée de Ynn Pryddein ?
Hervé : À l’origine du projet, la création d’un univers pour Donjons & Dragons 3.0. Autant dire que les prémisses du projet sont anciennes… Mon ambition était de retourner aux sources de la fantasy moderne : de créer un univers aussi proche que possible des textes de J.R.R. Tolkien et R.E. Howard, tout en intégrant les mythes et légendes de l’Europe du Nord (celtes, germaniques et scandinaves). Les elfes restaient petits avec des oreilles pointues, mais on les appelait des sidhes – et le niveau technologique et culturel était celui du Haut Moyen-Âge, période mal connue et donc intéressante à jouer. Par la suite, à force de me documenter, d’approfondir mes recherches, je me suis détaché complètement de l’idée d’un univers fantasy « classique » et j’ai voulu puiser profondément à la source première des écrits de Tolkien et Howard. Je me suis rendu compte que les mythes et légendes dont je m’inspirais étaient mal connus (en partie car la culture celte était de tradition orale), dépréciés ou altérés par la christianisation de l’occident, voire pire : associés à des mouvements extrémistes (l’utilisation que certains font de la croix celtique me révulse à la fois en tant que « celtophile » et croyant). Il vous suffit d’aller dans n’importe quelle librairie et de regarder le rayon mythologies & légendes : les mythes gréco-romains (que j’apprécie également) se taillent la part du lion parce qu’ils sont parvenus jusqu’à nous via les écrits des contemporains de la période. Les mythes scandinaves ont aussi fait une belle percée ces dernières années (je pense que la série « Vikings » a fait beaucoup pour l’engouement à ce sujet, mais avant cela, pour ma part, ce sont les comics Marvel qui ont été ma première approche). Alors que pour les mythes celtiques, peu d’ouvrages, et encore moins d’ouvrages sérieux. On trouve certes des livres sur les mythes arthuriens, mais ceux-ci résultent pour beaucoup d’interpolations d’origine chrétienne à partir de mythes antérieurs purement celtiques. Idem pour le rayon Histoire, vous y trouverez des rangées entières sur l’histoire de la Grèce et de Rome. On parle un peu des gaulois (souvent rangés avec les livres sur la préhistoire d’ailleurs…), les Scandinaves n’existent qu’au début de l’âge viking, la Grande-Bretagne quant à elle existe pour la conquête romaine, puis cesse d’être intéressante à partir du retrait de Rome, jusqu’à la conquête de Guillaume le Conquérant… Quant à l’Irlande, elle entre dans l’histoire des livres en français au moment de la colonisation anglaise. Beaucoup d’auteurs et éditeurs français ne s’intéressent à la période du Haut Moyen-Âge qu’au niveau des conquêtes franques… Le reste de l’Europe est invisible… Soyons justes : ce qui se passe en Grèce après la période classique et en Italie après la chute de l’Empire romain d’occident les intéresse fort peu aussi… Mon idée était donc, à travers un univers fantasy, de pousser le public rôliste à s’intéresser à des périodes souvent inconnues et, qui sait ? À se réapproprier des mythes et légendes qui font autant partie de notre patrimoine que les mythes gréco-romains. Un petit côté « Gaulois réfractaire » peut être quand j’y pense 😉
Ynn Pryddein tient son inspiration des mythes celtiques, gaéliques, nordiques et ceux de l’imaginaire arthurien, comment rassemblez-vous toutes ces lignes dans une même temporalité ?
Hervé : La mythologie est pour moi intemporelle… Il n’y qu’à voir de nos jours : on continue de raconter ces mythes à travers de nouveaux médias, tels que cinéma, TV, bande dessinée, et même jeux vidéos… Comme le dit un proverbe écossais : « Bonne histoire ne se gâte pas pour être dite deux fois. » Je pense par ailleurs que pour les populations pré-chrétiennes, les mythes étaient « réels » et qu’ils ont continué d’exister après la christianisation sous une autre forme (bien des vies de saints reprennent en grande partie des mythes païens, quand le saint lui-même n’est pas un dieu dont la christianisation va du subtil au franchement évident). Quant aux mythes arthuriens, je m’intéresse à eux pour le souffle épique qu’ils dégagent et pour l’aventure qui est là, présente, au détour d’un sentier… Dès qu’ils quittent le giron de Camelot, les chevaliers entrent dans des contrées non cartographiées, sauvages, où le danger et le mystère les attendent. C’est cette ambiance que je voulais retranscrire dans Ynn Pryddein. Il existe, comme je l’ai déjà mentionné, une dimension hautement celtique dans les légendes arthuriennes (le nom Arthur vient de la racine « Art » qui signifie « Ours » dans les langues celtiques). Il suffit de gratter délicatement le vernis d’amour courtois et de christianisme (je précise au passage que je suis chrétien et croyant) qui y ont été appliqués par les premiers transcripteurs de ces mythes pour les rendre « religieusement corrects » pour révéler des récits presque archétypaux de la culture celtique. La relation entre Arthur et Merlin ressemble fortement à la relation entre le roi et le druide dans les mythes irlandais par exemple. Aussi, la place de Guenièvre et de ses amants (sans doute gommés au fil du temps pour ne garder que Lancelot). Dans la mythologie celtique : la reine représente la souveraineté, or la souveraineté ne peut appartenir qu’à un seul individu… C’est aussi pour cela que Mordred veut épouser Guenièvre, non pas par concupiscence, mais pour s’approprier la souveraineté afin de devenir le roi légitime. J’aurais aussi pu parler de Gauvain qui ressemble beaucoup à Cuchulainn, au Graal qui serait (entre autres) un avatar du chaudron d’abondance du Dagda, mais je vais m’arrêter là sinon ça va finir en conférence…
Dans son approche et la fusion entre histoire et légendes, qu’est-ce qui différencie Ynn Pryddein de Légendes Celtiques, Keltia, Yggdrasil, Oikoumène, etc. ou même Pendragon ?
Hervé : La principale différence tient dans le jeu lui-même, Ynn Pryddein s’appuie sur l’histoire et l’archéologie pour créer un monde « crédible » qui oscille entre une ambiance réaliste presque « historique » et une ambiance légendaire proche du médiéval-fantastique. L’Œkumen (l’Europe alternative dont Ynn Pryddein fait partie) n’est pas notre monde, mais une sorte d’uchronie celtique. Il ressemble suffisamment à notre histoire pour que l’on puisse s’y sentir familier, mais il en diffère assez pour que l’on soit quand même dépaysé. Bien qu’il dispose d’une chronologie détaillée visant à lui donner une certaine profondeur et évoquant l’Europe, ce n’est pas l’Europe du Haut Moyen Âge.
Pour comparer avec les jeux évoqués : Légendes celtiques se déroule pendant l’âge du fer (soit plusieurs siècles avant la période de référence d’Ynn Pryddein) et si j’ai une grande tendresse pour ce jeu qui ouvrit le chemin et permit aux rôlistes des années 80 de découvrir la culture celtique, il faut tout de même avouer qu’il accuse un peu son âge. Les systèmes des années 80 étaient souvent complexes, et Légendes Celtiques ne fait pas exception à cette règle. En outre, nos connaissances sur les celtes et leur culture a beaucoup progressé depuis quarante ans que ce soit par l’archéologie ou les recherches sur la numismatique, les langues celtiques et la mythologie comparée (pour ne citer que quelques domaines de recherches).
En ce qui concerne Yggdrasil et Keltia, je n’ai délibérément pas lu les jeux en question, afin d’éviter toute influence. Si j’ai bien compris, ces jeux sont à base historique avec les légendes scandinaves et galloises en sus. Ynn Pryddein s’en distingue au moins à deux égards. En premier lieu, Ynn Pryddein essaie de reprendre toutes les légendes celtiques parvenues jusqu’à nous, et modèle son univers sur l’ensemble des cultures celtiques. En second lieu, le système de règles de Ynn Pryddein lui-même, totalement original, est délibérément modelé sur un mode de pensée celtique et les croyances des celtes parvenues jusqu’à nous.
Pour Pendragon : c’est un de mes jeux favoris… Et j’ai commencé par adapter 2-3 scénarios Pendragon pour Ynn Pryddein avant d’écrire les miens. En revanche, ce n’est clairement pas historique ! Même si la 2e édition tentait de donner une vague coloration historique, on est loin du Haut Moyen Âge. La place des femmes dans le matériau qui a servi d’inspiration (et même dans les scénarios), mis à part comme récompense ou moteur de scénario, est aussi la portion congrue – alors que les sociétés celtiques accordaient aux femmes une place bien plus importante. Pendragon est pour moi en exacte adéquation avec ce qu’il veut simuler : les légendes arthuriennes vues par des auteurs comme Chrétien de Troyes ou Thomas Malory avec « le morte d’Arthur », qui s’éloignent fort des légendes celtiques… Dernière différence, dans Pendragon et Keltia, vous jouez des compagnons du roi Arthur. Dans la campagne officielle d’ Ynn Pryddein, vous êtes l’équivalent du roi Arthur.
La période de référence d’Oikouméné est l’antiquité et plus précisément l’an 270 avant notre ère, c’est-à-dire environ 1000 ans avant celle d’Ynn Pryddein, avec un système générique puisque l’on y joue des personnages de toutes origines.
Graphiquement Ynn Pryddein vous amène à quels challenges pour vos illustrateurs ?
Hervé : Cela m’oblige à leur donner un maximum de sources. C’est aussi là qu’est la différence d’Ynn Pryddein avec d’autres jeux dits « fantasy ». Dans un jeu médiéval-fantastique lambda, un guerrier peut avoir une cotte de mailles, une armure de cuir clouté, une armure de plates ou n’importe quoi d’autre… En raison de l’orientation historique, il existe en raison de la période historique de référence, des types d’armement précis pour les royaumes et pour les groupes sociaux. Les soldats du roi de Caspiaris par exemple sont inspirés par l’armement des armées romaines tardives : ce qui implique un armement très différent des romains qu’on voit dans les films (ou les documentaires d’ailleurs ce qui est nettement plus grave), qui portent des armures lamellaires semblables à celle visibles dans Astérix depuis la fondation de Rome jusqu’à sa chute. Les épées, les casques, les boucliers évoluent au cours de l’histoire… L’illustration de la « guerrière au corbeau » (dont le modèle est une amie) représente une cheffe de guerre au moment de l’invasion de Pryddein par l’Empire Taenarien (un empire de type gréco-romain avec un soupçon de perse et de Carthage). Sa période historique de référence est donc la guerre des gaules et la conquête des îles britanniques, de sorte que son armement sera différent de celui d’un combroge vivant à l’époque du jeu. Mais le souci du détail va aussi dans les bijoux, comme les fibules (sortes d’épingles à nourrice servant à attacher les vêtements) où chaque culture à ses formes de prédilection. La fibule d’un « combroge » (un habitant d’Ynn Pryddein) sera très différente de celle d’un barbare bjorning (membre d’une peuplade de type saxonne). J’ai fait des recherches sur les chaussures du Haut Moyen- ge pour un dessin par exemple. Du coup si je ne veux pas perdre de temps et agacer les artistes talentueux-ses qui travaillent avec moi, il me faut faire des recherches en amont afin de leur donner des modèles pour les habits ou l’armement du personnage qui va être illustré. Il arrive que je fasse des exceptions, en plaçant des objets non compatibles avec la période historique, pour des objets « magiques » qui se sont transmis de génération en génération…
Quand on parle de financement participatif, qu’est-ce que vous attendez de vos participants/backers en dehors de l’aspect pécunier ?
Hervé : De l’amour ? Des fans-art ? (rires) Non sérieusement… Ma foi qu’ils parlent du projet autour d’eux ça serait déjà très aimable de leur part. La guerre des précommandes participatives se gagne aussi via les réseaux sociaux et le bouche à oreille. J’ai fait beaucoup de démonstrations par-ci, par là au cours des 16 années de développement du jeu (c’est dire son niveau de maturité) et si je ne peux pas toucher directement toutes ces personnes, un(e) participant(e) pourra directement ou indirectement me rappeler à leur bon souvenir ? Cela passe aussi par les questions sur le jeu, auxquelles je m’efforce de répondre. Sans être omniprésent, je suis sur plusieurs forums (Ynn Pryddein a d’ailleurs son espace dédié sur le forum « les Salons de la Cour d’Obéron ») à la fois donc on peut me trouver facilement. Par exemple, j’ai un backer qui veut faire jouer le scénario disponible dans le Kit d’Initiation paru en 2013 en partenariat avec le webzine « les Songes d’Obéron ». Il a eu une idée originale pour faire un prologue au scénario, et m’a posé des questions. Au plaisir simple qu’on s’intéresse à mon œuvre, vient s’ajouter celui de participer à développer une œuvre créatrice autour d’Ynn Pryddein. Enfin, s’ils ont des idées, des suggestions pour la précommande (goodies particuliers par exemple ?) qu’ils nous en fassent part à Posidonia et moi.
Quelles sont les inspirations récentes pour Ynn Pryddein ?
Hervé : Parmi les livres historiques, le plus récent que j’ai commencé qui m’ait donné des idées pour Ynn Pryddein c’est :
« Vercingétorix, chef de guerre » par Alain Deyber. Il n’est pas dans la bibliographie (fixée il y a environ 2 ans au moment où les premières relectures ont commencé), donc je le cite ici. J’avais envie de développer l’aspect « batailles rangées » pour Ynn Pryddein dans les scénarios que j’utilise en démonstration (la campagne officielle comporte quant à elle plusieurs grandes batailles), et si le livre de base comporte toutes les règles permettant de les simuler, ce livre me permet de mieux les décrire et de mieux faire appréhender les complexités de leur préparation aux joueurs (notamment la différence entre un commandement centralisé et hiérarchique de type romain et l’entourage compliqué d’un chef de guerre celte, souvent enchevêtré dans ses relations interpersonnelles). Il comporte en outre un lexique des termes militaires qui justifierait presque son achat à lui tout seul.
Pour les romans : le cycle gaulois des « Rois du Monde » de Jean-Philippe Jaworski, est un « must-read », je suis un fan de la première heure et ce cycle est juste… Génial, que ce soit pour le style ou l’histoire en elle-même (mais aussi pour le plaisir de lire une épopée celtique se déroulant en Gaule) et je ne dis pas ça parce qu’il m’a fait le plaisir et l’honneur de parler en bien d’Ynn Pryddein sur sa page Facebook. Les romans de ce cycle ont l’ambiance typique du mode de jeu « Vercingétorix » pour Ynn Pryddein que je cherche à émuler dans mes parties.
En BD, « Alix origines, l’enfance d’un gaulois » est très bien. Si la Guerre des Gaules n’est pas la période historique de référence d’Ynn Pryddein, il subsiste des coutumes qui viennent de l’époque. En fantasy pure, les deux premiers tomes des Chroniques de Prydain par Lloyd Alexander viennent de ressortir en français (et l’éditeur semble bien parti pour traduire tout le cycle). C’est de l’excellente littérature jeunesse celtique ! On suit les aventures de Taran aide-porcher et de ses compagnons (un barde raté, une jeune fille qui a du sang fée, un nain qui peut se rendre invisible…). Les tomes le voient grandir petit à petit, aussi n’est-il pas figé dans une éternelle jeunesse. Plusieurs éléments d’Ynn Pryddein ont été inspirés par ces romans (dont Disney en 1985 a fait une adaptation en dessin animé que je qualifierai de très moyenne…), eux-mêmes fortement inspirés par les légendes galloises. Ah oui, aussi, je conseille encore et toujours avec obstination le magazine Keltia ! C’est la meilleure source pour des articles sur l’histoire et la mythologie celtique. Avec en plus des conseils de musique, d’exposition, de lectures que ce soit des livres « sérieux » (histoire, archéologie, mythologie) ou de la fantasy, des romans policiers ou encore des livres d’illustrations, le tout lié par le thème celtique.
C’est quoi votre bande son idéale pour faire vivre et ressentir vos terres de légendes ?
Hervé : Il existe une playlist Ynn Pryddein sur Youtube, c’est un mélange entre de la musique folk (irlandaise principalement), du heavy-metal « classique » ou inspiré par les légendes celtiques et nordiques (je crois qu’on range ça dans la catégorie « folk-metal » car ils utilisent aussi des instruments traditionnels, j’utilise le conditionnel pour ne pas choquer les puristes 😉 ), de la musique classique, des bandes originales de films (celle de Thor Ragnarok est très bien par exemple), de la musique pop-rock et instrumentale influencée par les légendes celtes ou des œuvres de fantasy (il y a une chanson magnifique sur l’histoire de Beren et Luthien par exemple)… C’est classé au gré de mes envies, je rajoute des morceaux au fil de mes errances « youtubesques » (digne des voyages de Saint Brendan au minimum ;-)). C’est majoritairement accompagné par cette playlist que j’ai travaillé et que je continue de travailler sur mon jeu… Il m’arrive aussi parfois quand j’écoute une musique qui n’a rien à voir avec la culture celtique ou nordique de me dire qu’elle irait très bien avec un scénario. Par exemple dans la saga « L’espoir c’est ce qui meurt en dernier », campagne officielle pour Ynn Pryddein, le dernier chant (scénario) voit se dérouler une grande bataille, épique et il y a un moment précis où le morceau « Avengers Assemble » d’Alan Silvestri collerait parfaitement. Ou encore j’avais trouvé une polyphonie corse sur Youtube, des voix d’hommes chantant ensemble, un régal pour l’oreille. Comme je ne comprenais pas un traître mot, ça m’inspirait une cérémonie mystérieuse, pourquoi pas pour un scénario en Peithan (ou bien pour un moment précis du scénario « Le manteau de la vérité est doublé de mensonges », qui sera présent dans le livre de base d’Ynn Pryddein).
Pourquoi faire de l’heroic-fantasy dans un monde fictif ? Pourquoi ne pas placer vos histoires dans les légendes celtiques/nordiques/arthuriennes dont elles reprennent l’inspiration ?
Hervé : La première raison c’est la liberté que cela m’accorde. Si je veux reprendre une partie de l’histoire d’un personnage mythique en le combinant avec le caractère d’un autre et l’apparence particulière d’un dernier, personne ne sera choqué et aucun puriste ni spécialiste ne viendra me reprendre. Prenons par exemple le royaume de Volsung dont l’histoire récente fait penser à la Normandie de Rollon (un pillard devient maître d’une partie du territoire qu’il pillait avec l’assentiment du souverain qu’il combattait auparavant). Auparavant le royaume se nommait Bedwyr, du nom de son premier roi. L’histoire de ce roi, Bedwyr, est inspirée par la légende irlandaise de Nuada au bras d’argent avec un dieu qui forge le bras du roi coupé dans une bataille. Mais j’y ai aussi inclus une version où le souverain retrouve son bras avec l’aide d’un kornandon (nain). Je n’aurais pas pu mélanger les légendes nordiques et celtiques si j’avais voulu être 100 % fidèle. Un autre exemple ? Je place dans la bouche d’un héros au nom gallois des propos attribués à Cuchulainn un héros irlandais… La deuxième raison, c’est l’envie de faire découvrir ce matériau mythique par le biais de la fantasy. Je suis un fan d’heroic-fantasy et quelque part, je dirais qu’Ynn Pryddein est une réinterprétation moderne des mythes et légendes dans lesquels je puise mon inspiration. Le jdr et l’heroic fantasy sont des médias de transmission et, toutes proportions gardées bien sûr, j’aimerais me placer quelque part dans la continuité, en leur rendant hommage, des bardes d’antan qui transmettaient ces histoires en les adaptant à leur public. C’est en lien avec le slogan de la page de crowdfunding : « Entendrez-vous le chant des bardes ? ».
Enfin la fantasy me permet d’autres choses, comme de faire jouer des créatures non-humaines restant équilibrées avec les personnages humains. Si j’étais 100 % fidèle au matériau d’origine, les sidhes celtiques et les dvergar nordiques seraient beaucoup trop puissants pour faire de bons personnages-joueurs. Il y a aussi la place des femmes. J’ai fait découvrir le JDR à mon épouse et je l’ai vue plus d’une fois frustrée par les contraintes historiques ou légendaires d’un jeu relativement à la place des femmes. Les femmes celtes étaient plus libres que leurs homologues scandinaves, elles-mêmes nettement plus autonomes que les femmes grecques ou romaines, mais tout de même. Et il y aurait toujours eu un(e) puriste biclassé(e) râliste pour venir expliquer que : non il n’y a pas de femmes druides ou qu’une femme guerrière c’est pas possible (bien que l’archéologie ait récemment découvert des tombes de combattantes « vikings » et que revoir les conclusions des archéologues d’il y a quelques décennies ne serait sans doute pas du luxe…) La fantasy lui permet ainsi qu’aux autres joueuses présentes à mes tables de jouer ce qu’elles veulent (c’est d’ailleurs une des premières précisions que je fais lors de mes démos d’Ynn Pryddein !). Enfin j’aime aussi l’idée de jouer avec des idées de rôliste… Que serait-il passé si les Romains avaient attaqué la Gaule avec des magiciens intégrés dans leurs armées, tandis que les druides auraient riposté avec leur magie religieuse et se faisaient aider par les fées ? Ynn Pryddein est l’une des réponses possibles.
Enfin, last but not least, si je l’avais fait, je n’aurais pas su quoi répondre à votre question sur Légendes Celtiques, Keltia, Pendragon et Yggdrasill ;-).
Avant de présenter le projet, vous jouez/rêvez/écrivez depuis combien de temps dans l’univers de Ynn Pryddein ?
Hervé : Tout a commencé en 2003 ou 2004. Comme je l’évoquais plus haut, au début j’avais prévu de faire jouer Yggdrasil (à l’époque le jeu portait ce nom) avec le système d20. Soyons honnête, je n’ai pas travaillé dessus de manière assidue et organisée pendant 6 ans. Je fonctionnais beaucoup à l’inspiration… Si un livre, un film, une série, une musique me faisait rêver, me donnait des idées, alors je l’intégrais dans Ynn Pryddein avec un bout de background par-ci, un morceau de règle par-là… A partir de 2007-2008, l’univers de jeu était quand même assez structuré (les 7 royaumes étaient placés, leurs voisins également, chaque royaume avait globalement sa spécificité), et je disposais d’une carte du monde (merci à Bastien « Acritarche » Wauthoz pour avoir réalisé la 3e version informatique, la 2e avait été auparavant réalisé par un membre du forum de la FFJDR, il me semble). Comme cela motivait des gens sur le forum « Les salons de la Cour d’Obéron », j’ai lancé une partie par forum qui m’a aidé à préciser mes idées, à développer divers aspects. Mais tout cela restait quand même peu organisé… En juin 2009, j’ai gagné le concours des éditions de la BAP et afin de commencer à mettre en forme un vrai livre de base, j’ai rassemblé en un seul document tous les fichiers épars (dont certains avaient plusieurs versions différentes) et je me suis astreint à organiser les choses. Par quel royaume commencer ? Pourquoi ? Qu’est-ce que je garde dans tout ce que j’ai écrit (je me suis forcé à enlever certains paragraphes intéressants mais non essentiels) ? Ensuite il a fallu « combler les trous ». J’avais beaucoup travaillé sur certains royaumes (Dyfed, Reinhald et Volsung sont mes chouchous mais chut ! c’est un secret ;-)) et peu sur d’autres (Caspiaris, Rhuadan et Finnian par exemple)…
Dans l’ouvrage qui sert de livre de base, proposez-vous un cadre de campagne pour débuter ?
Hervé : Le livre de base contient 4 scénarios. Trois sont indépendants, le premier « Sur les rives du Na-Boinh » prend place en Reinhald, le deuxième « Le manteau de la vérité est doublé de mensonges » se déroule en Volsung durant la fête de Samhain, et le dernier « Qui a perdu l’honneur, n’a plus rien à perdre » commence en Finnian. Le 4e scénario se nomme « La reine de l’Air et des Ténèbres ». Il est un peu spécial, car c’est le premier « chant » (c’est ainsi que je nomme mes scénarios) d’une grande saga intitulée « L’espoir, c’est ce qui meurt en dernier », qui commence en Volsung et fait parcourir aux PJ tout Pryddein et une bonne partie de l’Oekumen. Mais le livre de base contient la description des 7 royaumes bien sûr (j’ai mis une description très détaillée du sommaire sur mon blog) et je dispose d’un bon nombre de scénarios écrits par mes soins ou par un fan de la première heure (et ami – coucou Erik !)qui pourront être mis à disposition dans la presse rôliste, accompagner un supplément éventuel, ou tout simplement devenir l’un des paliers de la précommande participative. Pour l’anecdote, la plupart des titres de scénarios sont issus de proverbes irlandais, écossais ou scandinaves (pour Volsung). Je découpe la plupart du temps mes « chants » en trois « couplets », eux-mêmes nommés selon des proverbes généralement. On garde l’aspect celtique jusqu’au bout.
Vous accordez également de l’importance à la rigueur et à la reconstitution historique, notamment en ce qui concerne les mentalités, les classes de personnages et les combats. Comment parvient-on à concilier réalisme historique et univers de légendes (par ex. pour les règles de combat, quand on songe aux exploits surhumains des héros légendaires) ?
Hervé : En fait, comme le dirait les druides « ce n’est pas difficile » ;-). La pratique des AMHE (que je conseille à toutes et tous d’ailleurs ça permet de voir ce qu’on peut faire et ne pas faire « en vrai »), la reconstitution historique (combat gaulois) et le visionnage assidu de documentaires sérieux m’a permis de comprendre (à peu près, car je n’ai jamais eu Dieu merci à défendre ma vie les armes à la main) comment on se bat, comment on utilise les armes que les personnages d’Ynn Pryddein ont à leur disposition et quels dégâts celles-ci peuvent faire…
Je voulais que les combats soient fluides et rapides, tout en « collant » à une certaine réalité matérielle. Ainsi, je voulais absolument que les joueurs de Ynn Pryddein soient conscients du rôle indispensable du bouclier dans l’armement d’un guerrier celte, ainsi que l’avantage déterminant que donne une arme longue par rapport à une arme courte (allez passer le fer d’une lance quand vous avez une épée courte et vous m’en direz des nouvelles). Je remercie ici mes maîtres d’armes : Vivien alias « Talagnatos » (qui triche nécessairement puisqu’il me bat systématiquement) et Eric alias « Carnyx » (qui m’a en outre fourni beaucoup de documentation). J’ai aussi souhaité que le système reflète l’efficacité mortelle des flèches et la situation difficile d’un combattant désarmé face à un guerrier armé.
D’autres aspects ont été délibérément laissés de côté : l’épuisement à combattre longtemps, surtout avec une armure et/ou un équipement dont le poids va renforcer la fatigue (certes les guerriers d’autrefois étaient largement plus en forme que les sédentaires que nous sommes, mais tout de même) la mortalité importante et les maladies post-affrontement par exemple…
Ensuite, Ynn Pryddein a une spécificité, puisqu’il est prévu trois « modes de jeu », nommés en hommage à des héros celtiques. Sans modifier vraiment les règles, les modes de jeu peuvent varier au cours d’une même campagne, voire au cours d’un même scénario, notamment en fonction des actions des personnages :
– le mode de jeu Vercingétorix est quasi-historique ( « gritty » pour les anglophones branchés) dans son approche : les armes sont dangereuses, les personnages n’ont pas beaucoup de points de vie, et la magie relève essentiellement de la superstition. Quand on charge un mur de boucliers hérissé de lances, armé seulement d’un ceste… On meurt.
– Fionn Mac Cumail est le mode « héroïque ». Les personnages sont plus résistants, leur capacité d’influencer le cours des événements augmente, les faës semblent exister réellement, et une mutilation telle que la perte d’un bras devient qualifiante à un destin glorieux, et les armes à distance (armes de lâches bien entendu, un véritable héros affrontant toujours son ennemi en face à face) font moins de dégâts…
– Cuchulainn est le mode de jeu « mythologique ». Le personnage peut arrêter une armée entière grâce à son spasme de furie, et sa magie lui permet de convoquer les armées de l’Autre Monde pour se battre à ses côtés au cours de batailles épiques. Son animal de compagnie du personnage peut porter un message à ses alliés, et les dieux eux-mêmes semblent s’intéresser à ses hauts faits.
Avec ces modes de jeu, Ynn Pryddein permet aux joueurs de faire l’expérience de tout le spectre légendaire des cultures celtiques : depuis des récits picaresques au niveau Vercingétorix jusqu’aux mythes fondateurs d’un substrat culturel occidental au niveau Cuchulainn, et ceci sans être contraints changer de personnage.
Vous évoquez l’Œkumen et le livre de base décrira brièvement l’Europe mythique. Est-ce que l’univers d’Ynn Pryddein s’étendra à d’autres contrées, cultures et mythologies ?
Hervé : Le monde germanique et scandinave est évoqué dans le livre de base à travers les Bjorningas et les Boréides. J’ai de la documentation aussi dessus puisqu’à l’origine j’avais prévu de décrire l’ensemble de l’Oekumen (j’étais jeune et fou, disons). Donc, pourquoi pas un supplément dessus ? D’autant que j’avais écrit un scénario où les PJ sont des jeunes marins boréides (vikings) qui partent en expédition à la découverte des côtes de l’Oekumen (avec l’alternance de commerce et de pillages typiquement viking)… Ce serait l’occasion de le replacer. Il y a aussi des populations nomades loin à l’Est, j’ai aussi de la documentation sur ces peuples et c’est un domaine peu utilisé en JDR. Mais là je demanderai de l’aide car Ynn Pryddein fut un long travail solitaire (en grec, il y a un mot « Kopos », qui désigne un travail lourd et écrasant, et j’avoue que ces dernières années ce fut un peu le cas). Je dois cependant mentionner que j’ai reçu de nombreux coups de main, conseils et encouragements de mon entourage amical. Outre les vieux amis et playstesteurs de la première heure, sans parler de mon cher grand-frère (coucou François), je souhaite mentionner tout particulièrement Ludovic « Xyrop » qui, tel le dieu Lugh, sait tout faire : coach, Ambacte*, artisan créateur/modificateur de règles, briseur d’autosatisfaction ayant (trop) souvent raison qui m’a souvent aidé à me remettre en question quant à mes choix de game-design, Mélisande qui m’a pris sous son aile et m’a aidé à présenter Ynn Pryddein dans pas mal de conventions. Je veux également remercier les rôlistes fréquentant les mêmes forums que moi, et que pour certains, j’ai enfin rencontrés IRL quelque chose comme 10 ans après ! Un pouce en l’air également pour Stephan Ramié qui a créé la fiche de personnage pour Ynn Pryddein et que j’ai ENFIN eu le plaisir de voire au FIJ de Cannes fin février dernier. Je tâcherai donc de réunir une équipe motivée pour « explorer » le reste de l’Oekumen…
* Un ambacte est le nom donné à un porteur de boucliers, l’équivalent d’un écuyer…
Quelques nouvelles à nous donner sur les autres jeux Posidonia Éditions qui sortent cette année ?
Hervé : Je vais laisser Philippe de Posidonia nous parler des autres jeux de mes « collègues ». En tous cas, merci de cet entretien qui m’a permis de vous en dire plus sur les ambitions narratives d’Ynn Pryddein, et mes aspirations créatives lors de l’élaboration de ce jeu de rôle.
Philippe : Cette année, en plus de Ynn Pryddein, nous développons 6 autres JDR. Les premiers sont :
* 2103 : la fin d’un monde, de Guillaume Etuy, un jeu d’anticipation
catastrophe teinté de cyberpunk. 2103 parle de l’effondrement global en cours
et est basé sur des données scientifiques (rapport du GIEC etc.)
* Les Terres de Matnak de Mathieu Myskowski, un JDR merveilleux sombre
dans un univers de science fantasy ravagé par une mutation qui transforme les
humains en semi-bêtes sauvages. Seule la ville de Matnak est épargnée.
* Emysfer
d’Olivier Ranisio, dans l’univers de la science fantasy médiévale, où la magie
et la connaissance changent les rapports de force.
* Les chroniques du Lac d’Or, de Damien Girard et Chloé François, est aussi
dans l’univers médiéval-fantastique mêlant avec un peu de magie la technologie
steampunk avec des animaux anthropomorphes.
Nous sommes également en développement de deux jeux, mais à plus longue échéance : Oxyde Rampant, de Stephan Ramié, et la réédition de P.I.R.A.T.E.S. de Stéphane Chaussat, Camille Schnakenbourg et David Coimbra.
Merci Hervé Bourgade et Philippe Jaillet de Posidonia Édition pour cette longue interview, qui s’il en était besoin nous a donné encore plus envie de découvrir Ynn Pryddein.
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PS: retrouvez toutes nos interview JDR dans la nouvelle rubrique dédiée.