A quelques jours de la clôture de la campagne de financement participatif de la seconde édition de Crimes (si si, rappelez vous, on vous en a parlé ici), nous vous proposons d’en découvrir un peu plus sur les Écuries d’Augias et sur Crimes grâce à Yann Lefebvre, auteur de Crimes et Jérémie « Jemrys » Rueff, palefrenier bien connu des Écuries d’Augias, qui ont accepté de répondre à quelques questions.
Une occasion aussi d’en apprendre un peu plus sur l’industrie du Jeux de Rôle, vu de l’intérieur.
Questions à la maison d’édition Les Écuries d’Augias:
Pourquoi ce Jeu de Rôle ?
Yann Lefebvre : Crimes est parti d’une initiative personnelle qui a contaminé plusieurs autres personnes : Christophe Chaudier, puis Camille Guirou (Caravelle, premier éditeur de Crimes) et bien d’autres personnes. Ce jeu est l’alpha qui a constitué le studio de création qui allait devenir les Écuries d’Augias.
À l’origine, je cherchais à créer un jeu sombre, horrifique, basé sur des faits réels. Puis la littérature de la fin du XIXe siècle et la magie du cinéma d’horreur muet ont fait le reste, pour introduire le concept de la Déchéance et le fantastique très discret qui émane de cet univers.
Jérémie Rueff : Par contamination, comme l’a dit Yann. Au tout départ, j’ai découvert Crimes alors que j’étudiais la psychologie et que je fréquentais des ateliers d’écriture. Alors un jeu de rôle inspiré de plusieurs littératures avec un système basé sur la psychologie, pensez bien…
Au-delà de ça, Crimes est à l’origine du studio de création qui allait devenir les Écuries d’Augias. Quand le studio a évolué vers une structure d’édition, il est naturel qu’il soit resté dans notre giron.
Mode de financement participatif ou sur fond propres ?
YL : Les fonds propres ont été longtemps la solution pour toute la gamme v1. Cependant, avec l’inflation de nos projets et surtout, une hausse évidente en terme de standing, de qualité et de pagination, les fonds propres de l’association (pour rappel, les Écuries existent sous forme associative) ne suffisent pas.
Nous avons été les premiers, avec Don’t Rest Your Head, à inaugurer le financement participatif via Ulule pour un jeu de rôles en France. Nous avons réitéré avec Within, La Chaux de Fonds et désormais Crimes v2.
JR : Dans les faits, un peu des deux. Les sommes que nous avons demandées via le financement participatif pour Crimes v2 ne couvrent que l’impression. Tout le reste est payé d’une façon ou d’une autre (pourcentage ou forfait) sur nos fonds hérités de l’exploitation de nos divers produits. Mais effectivement, l’impression et les standards de qualité que nous avons cherché à établir sont au-delà de ce que nous pouvons nous permettre sur ces fonds uniquement.
Comment choisissez-vous quel jdr éditer et quel jdr ne pas éditer ?
YL : Tout d’abord, nous nous référons à notre ligne éditoriale, basée sur l’historique et l’horrifique. Certes, des OVNIS comme Nains et Jardins y figurent, mais nous tentons d’y rester fidèles. De plus, si nous souhaitons nous investir plusieurs années sur une gamme, il faut qu’elle corresponde à notre ADN : de l’originalité, des thématiques fortes et si possible, un gameplay ou un traitement novateurs. Un comité de sélection a été monté au sein et à l’extérieur des Écuries, auscultant les « professions de foi » que nous demandons aux créateurs. Ensuite, nous pouvons nous atteler à une ébauche de cahier des charges, mais avant tout, nous jugeons si nous avons les ressources humaines suffisantes pour le mener à bien et en moins d’un siècle.
JR : Aujourd’hui nous nous concentrons sur les gammes que nous avons lancées et qui sont assez ambitieuses. Nous ne nous empêchons pas à l’occasion à jeter un œil à certains projets que nous recevons parce qu’on n’est jamais à l’abri d’un coup de cœur, mais dans les faits, comme le souligne Yann, cela demande de la ressource humaine et pour le moment nous n’acceptons officiellement pas de nouveaux jeux.
Comment voyez-vous du point de vue de l’édition l’arrivée du crowdfunding ?
YL : Nos points de vue diffèreraient légèrement au sein du groupe, mais il est clair que le CF est une opportunité essentielle pour mener des projets ambitieux. La production de JDR comme Within ou Crimes est onéreuse, et le financement se fait bien avant les premières ventes. Compter sur un succès commercial pour reconstituer la trésorerie avant de pouvoir investir, c’est attendre plusieurs années avant de pouvoir publier. Le CF nous permet d’éviter ces calculs hasardeux.
Par contre, il faut bien garder la tête froide et concevoir le financement en tout bout de chaîne, et non pas comme un préalable à la conception du jeu. Sinon, c’est astreindre les souscripteurs à une attente intolérable, et cela, nous ne nous le permettons plus. Il est inquiétant de constater que des projets mal ficelés et terminés décrédibilisent ce système qui peut s’avérer vertueux.
Enfin, le CF est un bon moyen de « tester le marché » et de recueillir de précieux conseils, des commentaires dont nous pouvons nous inspirer. C’est une façon de se constituer une base de fans solide et militante, et de constituer et soigner notre image. Notre philosophie du JDR transparaît et dans nos productions, et dans notre façon de mener nos financements participatifs.
JR : Du point de vue de l’édition, ce n’est jamais que la souscription version 2.0. Avant nous faisions des souscriptions par chèque, d’autres de la précommande sur leur site. Dans les faits, et juridiquement, ça ne change pas beaucoup de choses entre le vendeur et l’acheteur. Ça reste un contrat de vente qui est conclu, et ce ne sont pas tous les fantasmes et le flou entretenu sur les différents termes utilisés qui y changeront quelque chose.
D’un autre côté, cette modernisation de la souscription, et l’accessibilité des outils et des plateformes aujourd’hui ont permis tant à des amateurs qu’à des structures plus professionnelles de se développer. Dans le JdR ce n’est pas négligeable puisque cela a permis aux éditeurs de retrouver un nouveau souffle quand le marché était moribond.
On a donc aujourd’hui une foison de projets, plus de choix, et cela créé un contexte concurrentiel favorable à l’émergence de nouveaux projets et d’une qualité renouvelée. Encore faut-il qu’il n’y ait pas de monopole qui tente de se créer, car si une bulle économique a éclaté il y a quelque temps, on peut observer certaines tendances qui visent à uniformiser les pratiques et il faut se montrer particulièrement vigilant à ce niveau.
Le financement participatif vecteur de pub, prévente, pas de déchet d’édition ?
YL : Je pense avoir répondu à ce point, en partie, dans le paragraphe précédent 😉
JR : Le financement participatif est un outil, pas une solution ou une fin en soi. S’il peut faire évoluer certaines pratiques du fait d’une interface groupée et bénéficiant de la capillarité des réseaux sociaux, il ne fait que rendre un peu plus transparents des mécanismes présents par ailleurs depuis longtemps. Donc tout dépend de ce que tu appelles « déchet d’édition », mais ce n’est pas le FP qui va « nettoyer » le marché, tout au plus va-t-il créer des conditions qui permettraient aux gens d’avoir plus d’éléments pour faire eux-mêmes le tri entre les projets et les porteurs. Mais c’est une démarche qui prend du temps, et la plupart du temps, le client n’a pas envie de savoir, c’est donc un acte un peu militant que d’essayer de donner ces clés de compréhension.
Comment avez-vous réuni votre équipe d’écriture et d’illustration ?
YL : Avec dix années de création au compteur, de nombreux auteurs ont déjà officié sur la gamme, ainsi que pléthore de relecteurs. Du coup, recueillir des avis et des coups de main a été facile, et de plus, nous pouvions compter sur des personnes chevronnées et connaisseuses de leur sujet.
Pour l’illustration, nous avons tenté de faire de même, avec notamment David Chapoulet. Cependant, l’occasion était idéale pour tester les illustrateurs qui nous proposent régulièrement leurs services par mail. Aussi, nous les avons auditionnés et avons vérifié si leurs styles pouvaient concorder avec notre charte graphique et constituer une patte graphique relativement uniforme.
Après, tout est une question de gestion de projets et de ressources : il faut faire travailler les personnes pendant leurs temps libres, les moments de creux, harmoniser les commandes, vérifier que toutes les pièces du puzzle s’assemblent petit à petit…
De quelle manière utilisez-vous les réseaux sociaux et que vous apportent-ils ?
YL : Nous tentons de poster régulièrement sur Facebook et Twitter. Nous n’avons pas encore testé Google +. Notre site propose un édito qui permet de retracer les actualités chaudes et de refaire l’historique de nos actions. Cependant, FB permet des coups de teasing, des programmations d’événements (levée de fonds, démonstrations, conventions) et de montrer que les Écuries occupent le terrain et ne restent pas enfermées dans leur Tour d’Ivoire.
Enfin, cette communication n’est pas unidirectionnelle et nous permet de recueillir de nombreux avis, de prendre la température pour associer au maximum nos auditeurs, tout en conservant bien sûr nos prérogatives d’éditeurs.
JR : Au-delà de ce qu’a décrit Yann, les réseaux sociaux sont un formidable outil de veille, en tant qu’éditeur, cela permet en partie et toutes proportions gardées d’avoir une vision d’ensemble sur les sorties, les projets, les retours qui sont faits, tant sur ses jeux que sur ceux des autres, et ainsi de faire évoluer (ou pas) ses pratiques pour s’adapter au marché ou pour identifier les opportunités qui peuvent se présenter.
Pensez vous que le JDR subit actuellement une mutation avec la population qui découvre le jeu de rôle par Youtube ou le Streaming ?
YL : Il est encore trop tôt pour le palper, tant il est difficile de définir une photographie sociologique précise du rôliste. J’ai rencontré plusieurs adolescents qui appréciaient ces vidéos, sans pour autant franchir le premier pas qui est de se réunir autour d’une table et… de jouer. De nombreux vecteurs (jeux vidéos, ciné et autres) permettent de converger vers le JDR, mais il faut encore franchir une dernière ligne jaune pour tester.
Dans plusieurs conventions, des parties de démo sont organisées et des rôlistes s’affairent pour initier un maximum de public. Nous avons du coup calibré certains scénarios pour faire des parties flash de une à deux heures, histoire d’abaisser le seuil de passage à l’acte de ceux qui seraient rétifs à s’engager dans des parties longues de 5-6 heures.
JR : Contrairement à Yann, je pense que oui, c’est juste qu’on ne s’en est pas encore rendu compte. Le principal problème pour moi c’est que le milieu rôliste tel que nous le connaissions jusqu’alors peine à reconnaître cette nouvelle population comme légitime. Pour différentes raisons le milieu est resté relativement refermé sur lui-même, et si des initiatives et des associations permettaient de garder un lien avec le grand public, rien n’avait eu l’ampleur ou l’impact qu’ont pu avoir des initiatives comme celle de Mahyar avec Réussite Critique. C’est intimidant pour les rôlistes et comme lorsque le Seigneur des Anneaux était sorti au cinéma, nombreux sont ceux qui se sentent plus ou moins inconsciemment dépossédés de « leur » loisir. On assiste alors parfois à un phénomène de rejet ou d’indifférence alors que c’est une formidable occasion pour favoriser la démocratisation du JdR. C’est dommage mais c’est un symptôme que les choses bougent, et ça c’est une bonne nouvelle.
L’industrie du jeu de rôles était axée sur le papier jusqu’à il y a peu, désormais les pdfs, les supports de tables virtuelles, les parties peuvent être partagées en streaming, comment considérez-vous cette évolution ?
YL : Bien. Nul besoin d’ayatollah des tables papier/crayons. Tous les supports utilisés ont leurs avantages et leurs inconvénients, le principal étant que chacun puisse s’y retrouver. Si l’on doit attendre les calendes grecques pour se réunir et jouer (je parle au nom des parents de familles assez nombreuses), autant trouver d’autres biais.
L’hybridation entre jeu de rôles et autres types de jeux et de médias est un sujet qui nous passionne.
De même, l’usage de moyens numériques (aides de jeu virtuelles, pdf interactifs, contenu augmenté…) est aussi une préoccupation des Écuries. C’est juste difficile de trouver le temps de les concevoir, et surtout, de trouver par quel outil il est le plus aisé de les publier, sans qu’il y ait de problèmes de compatibilité ou d’obsolescence.
JR : C’est cool ! L’amour que je porte à l’objet livre est de notoriété publique, mais je considère que ces nouveaux supports sont l’occasion de voir émerger de nouvelles pratiques, de nouvelles interactions, bref de nouvelles expériences sociales, ludiques et de lecture. Et un loisir qui évolue, qui grandit, c’est un loisir en bonne santé.
Quelques sont les prochains projets ou envies pour l’avenir ?
YL : Difficile à dire. Déjà, nous sommes tous liés par le sceau du secret et nous n’hésiterions pas à commettre des crimes pour sauvegarder l’omerta. Plus sérieusement, l’exploitation des gammes de Within et de Crimes v2, pour lesquelles nous avons investi beaucoup de temps, reste la priorité.
Après, nous pouvons toujours être séduits par de mystérieux projets dont nous n’avons pas encore connaissance, qui sait ?
JR : De mon côté, s’il y a effectivement les projets des Écuries sur lesquels nous allons continuer de travailler, j’ai d’autres projets avec ma propre structure SYCKO qui sont en cours de développement, notamment la saga Mesnie, dont Yann est l’instigateur, mais aussi la traduction de Designers & Dragons, la rétrospective de 40 ans de JdR (du côté anglo-saxon principalement).
Et c’est pas fini, la partie 2/2 de l’interview JdR des écuries d’Augias c’est par ici !
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